Pourquoi divorcer ? Pourquoi rompre un lien d’identité ? Pourquoi poursuivre sans l’autre ? Pourquoi se lancer dans l’inconnu ? Quelles raisons pour quelles conséquences implicites, nous font décider de ne pas rester dans le mariage ? Par quelles étapes passe-t-on avant, et après l’acte du divorce ?
« Le divorce est une rupture du contrat de mariage qui unit sur le plan juridique deux personnes qui avaient décidé de partager leur vie sexuelle, affective, économique et sociale en partie et qui désiraient engager la construction d’une famille et établir de nouveaux liens de filiation et de descendance. C’est un échec psychique quant au but. Échec sur le plan psychique et affectif par rapport à l’idéal porté par le mariage, la quête d’un épanouissement amoureux stable et la constitution d’une famille unie. En contrepartie le divorce peut soulager les partenaires des conflits insolubles et apaiser les tensions en évitant la violence engendrée par cet échec et l’impuissance vécue face à la non transformation des liens et des échanges. » Christine Leprince
Ainsi peut être résumé et défini le divorce avec ce qu’il sous-tend de perte et de gain : la rupture d’un contrat, l’échec de l’idée d’une vie amoureuse et familiale épanouissante ; mais un gain dans le soulagement obtenu par le désengagement d’un face-à-face frustrant et figé, sans perspective.
Cette décision est souvent difficile à prendre et peut demander parfois des années de réflexion à l’un ou l’autre époux avant de devenir une réelle option. Si le divorce peut assez tôt représenter une alternative dans l’esprit de l’un ou l’autre conjoint, son évocation fait immédiatement émerger un grand nombre de questionnements plus ou moins anxiogènes propres à freiner voire interrompre le processus de séparation.
L’idée du divorce peut dans certains cas, mobiliser des angoisses difficiles à contenir car elles s’expriment du plus profond de soi. Envisager le divorce peut parfois réactiver des angoisses archaïques qui freinent voire empêchent le processus de séparation. Il se peut que l’on n’en ait pas conscience et que l’on attribue ces angoisses à des « inquiétudes » plus ancrées dans le réel telles que : peur de ne pas parvenir à assumer seul les contraintes matérielles du quotidien ou peur de faire du mal à ses enfants (quand il y a une famille) en les privant de la constance du couple à la maison ou peur de se retrouver « seul » sans « amour », ou encore peur de se tromper en faisant ce choix.
Mais au fond, quand ces craintes figent, c’est bien souvent qu’elles parlent d’autre chose : elles parlent d’angoisses de mort, d’angoisses majeures qui affaiblissent et immobilisent. Derrière la crainte de se retrouver seul (sans ce conjoint au quotidien) après un divorce peut se manifester celle de mourir, de disparaitre bel et bien.
Dans certains cas le divorce, quand il peine à être agi, pose la question de l’effondrement intérieur, de la disparition de sa propre identité (une identité constituée à deux, le couple et sa réalité familiale) plus que de la séparation d’avec un conjoint avec qui la vie amoureuse a disparu depuis longtemps. Divorcer signifie alors accepter d’envisager sa propre individuation, se préparer à y faire face et à l’assumer.
« J’emploie l’expression d’individuation pour désigner le processus par lequel un être devient un in-dividu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité », Karl Jung.
Ou encore selon Jung : « [C’est] La prise en compte progressive des éléments contradictoires et conflictuels qui forment la totalité psychique, consciente et inconsciente, du sujet ».
Si l’on accepte l’idée selon laquelle divorcer équivaudrait à « laisser derrière soi », « abandonner une part de notre identité antérieure » au profit de ce (cheminement intérieur réunificateur de nos conflits inconscients) qui constituerait notre « tout intime » ; alors, divorcer représenterait, à ce titre, un deuil majeur, la perte transitoire d’un certain soi-même au profit d’une rencontre (espérée) avec un autre soi-même, plus proche et plus familier.
Mais cette quête suppose d’accepter de passer par une période « d’entre-deux », plus ou moins longue, où la phase de deuil peut s’étirer parfois dans la durée avant de laisser la place à une autre phase où moyennant un travail d’élaboration (dans une cure psychanalytique), l’individu pourra accéder à lui-même, et lâcher ce sentiment douloureux de perte et de « solitude ultime ».
Selon Jacques Arênes : « Il existe une bonne et une mauvaise solitude. La mauvaise est celle de l’enfermement mortifère, du refus de l’autre, et de la fuite de soi. La bonne serait, en quelque sorte, une solitude apprivoisée, libérée du poison de l’angoisse de séparation, quand elle s’exacerbe, réconciliée avec la culpabilité qu’il faut parfois affronter. La traversée de la « mauvaise » solitude est souvent nécessaire pour trouver le chemin de la « bonne ». La bonne solitude surgit après avoir accepté l’épreuve du feu de l’angoisse. La solitude est transformée quand on l’a assumée, quand on a pu mesurer le risque et qu’on l’a affronté. « Ce passage [entre la mauvaise et la bonne solitude] se déroule à travers ce que nous, psychanalystes, appelons l’élaboration des angoisses de séparation et de pertes d’objet. »
Choisir de consulter un psychanalyste dans ce moment de vie où l’on se confronte à la nécessité d’un divorce c’est choisir de s’inscrire dans une démarche de démystification de ce choix (pour soi, l’ex conjoint et les enfants si il y en a).
« L’un des buts de l’analyse consiste en ce que l’analysant découvre ou redécouvre en lui des sentiments que l’angoisse excessive de séparation et de perte d’objet a pu l’empêcher d’acquérir ou lui faire perdre : sentiment d’autonomie et de liberté psychique, force et continuité intérieures, confiance en soi et envers autrui, capacité d’aimer et d’être aimé, bref, un ensemble complexe de sentiments qui caractérisent ce qu’on appelle maturité psychique, que D. W. Winnicott (1958) a résumé si bien lorsqu’il parle d’acquérir une capacité d’« être seul en présence de quelqu’un » (p. 209). » Jean-Michel Quinodoz – La solitude apprivoisée (2010)
Divorcer c’est donc perdre.
Puis, c’est reconstruire peu à peu en acceptant d’habiter ce temps (parfois long) où l’on se sent flottant, comme suspendu au-dessus du vide, du fait de la perte de repères liée à l’absence dans son quotidien, de l’autre. S’efforcer d’éviter les heurts, les soubresauts et les secousses intérieures qui traversent cette période de séparation peut constituer une stratégie dans le but de se sentir moins « désorienté » : multiplier les sorties, ou les rencontres, ou encore s’investir davantage dans son activité professionnelle peut venir en aide pendant un temps.
Mais avant tout, et inévitablement, la vie après un divorce sera emprunte de la manière dont on sera parvenu à s’appuyer sur « ce qui tient encore».
Un divorce est une mort oui. C’est une mort car quelque chose de puissant s’éteint définitivement pour les conjoints et pour les enfants s’il y en a. Mais cette perte n’advient pas en vain, elle advient pour aller vers davantage de vie, pour renouer avec soi-même ou souvent pour découvrir qui l’on est, dans cette solitude tellement crainte.
L’enjeu reste ici, comme dans toute perte majeure, la capacité à élaborer ce qui se joue consciemment et inconsciemment pour soi à chaque étape de cette séparation de manière à traverser ce deuil et la douleur qui l’accompagne sans nier ou minimiser les émotions qu’elle nous fait vivre.
Un divorce est une promesse de vie, reste à supporter de cheminer de l’un vers l’autre.
Annie COHEN
3 octobre 2021
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